«Laurent Ruquier a-t-il raison de faire ce mea culpa? A-t-il raison de
pointer sa responsabilité, et plus largement celle de tous les médias
chez qui Eric Zemmour [*] a table ouverte, dans la propagation, la
banalisation et le succès de ses thèses? Plus largement encore, les
médias de masse ont-ils une part de responsabilité dans le succès
croissant du FN, dont les thèses sont les mêmes que celles d’Eric
Zemmour sur l’économie comme sur les valeurs?
La réponse est oui. En fait, lorsqu’il explique le succès d’Eric
Zemmour par sa colossale exposition médiatique, Laurent Ruquier remet au
goût du jour une découverte de la psychologie sociale américaine des
années 1960: l’effet de simple exposition.
A l’époque, le psychologue Robert Zajonc a conduit des expériences
qui lui ont permis d’établir ceci: l’être humain tend à développer un
sentiment positif envers une chose à force d’y être exposé
répétitivement. Le scientifique a poussé les expériences jusqu’à
constater que cela fonctionnait sur des mots ne voulant rigoureusement
rien dire. Résultat édifiant: malgré l’absence totale de sens, les
groupes testés développaient un sentiment de plus en plus positif envers
ce mot.
La conséquence logique de l’effet de simple exposition est la
suivante: effectivement, parce qu’ils l’ont massivement surexposé
pendant plusieurs années, les médias ont une part de responsabilité
directe dans la propagation, la banalisation et le succès des thèses
d’Eric Zemmour. Plus largement, cet effet de simple exposition vaut pour
l’extrême droite en général. À force de matraquage médiatique de
reportages, d’articles et d’interviews en feu roulant, avec pour angle
répétitif
«la-montée-du-FN-la-dédiabolisation-du-FN-la-transformation-du-FN», les
médias ont une part de responsabilité dans les succès électoraux
croissants de ce parti.
L’on pourrait objecter que les médias ont un devoir d’information, de
pluralisme. Que par conséquent, il était de leur devoir de donner une
place aussi bien aux thèses d’Eric Zemmour qu’à des reportages, articles
et interviews sur le FN. C’est vrai, mais ce n’est pas le problème.
Le problème, c’est la disproportion. Dans le cas d’Eric Zemmour, il
est flagrant que les tenants de thèses opposées aux siennes sur les
sujets qu’il aborde sont actuellement sous-représentés dans les médias.
Et dans le cas du FN, les élections départementales sont un cas d’école
d’omniprésence d’un thème et d’un seul, sensationnaliste, au détriment
colossalement disproportionné de tous les autres angles et sujets
possibles.
Le mot «médias» vient du latin «medium», au sens du mot
«intermédiaire». C’est précisément ce que sont les médias et donc les
journalistes qui y travaillent. Ni des passeurs de plats, ni des agents
de spectacle: des intermédiaires vigilants entre la pluralité des faits
et des opinions d’un côté, et le public de l’autre.»
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