juillet 2012
«Les grandes catastrophes encouragent les croyants les plus fervents à
redoubler aussitôt de piété. Ainsi des fédéralistes européens : refusant de
concevoir qu’on puisse un jour tourner le dos aux politiques d’intégration —
monétaire, budgétaire, commerciale — qui ont aggravé la crise économique, ils
souhaitent au contraire renforcer l’autorité de ceux qui les ont mises en œuvre.
Les sommets européens, les pactes de stabilité, les mécanismes disciplinaires
n’ont rien arrangé ? C’est, répondent invariablement
nos dévots, parce qu’ils n’ont pas été assez loin : pour eux, toute réussite
s’explique par l’Europe, et tout échec par le manque d’Europe (1).
Cette foi du charbonnier les aide à dormir à poings fermés et à faire de jolis
rêves.
Des cauchemars, aussi, car les fédéralistes ne détestent pas les tempêtes.
Les annoncer leur permet même de briser toute résistance à leur grand dessein en
prétextant l’urgence. Au milieu du gué et sous la mitraille, nul ne doit faire
machine arrière. Il faut franchir la rivière ou se noyer, précipiter le « sursaut fédéral » ou consentir à
la catastrophe. « Si la confédération actuelle
n’évolue pas vers une fédération politique avec un pouvoir central, estimait
ainsi en novembre dernier l’ancien ministre des affaires étrangères allemand
Joschka Fischer, la zone euro — et l’ensemble de l’Union — va se
désintégrer (2). »
En France, les trois grandes radios nationales et deux des principaux quotidiens
prêchent chaque jour cette antienne.
A entendre les fédéralistes, on imaginerait volontiers que les instances
européennes manquent de pouvoir et de ressources, tandis que les Etats
disposeraient d’une autorité et de moyens illimités. Mais la Banque centrale
européenne (BCE), qui a géré la crise avec le succès que l’on sait, consacrant
récemment la somme de 1 000 milliards d’euros au refinancement des banques, ne
dépend ni des gouvernements ni des électeurs de l’Union. Loin d’être trop
contrainte par un défaut d’intégration quelconque (budget commun, ministre
unique), l’harmonisation des politiques européennes sous la toise de l’austérité
allemande a déjà produit des résultats, puisqu’elle est parvenue à creuser
l’endettement des Etats et à accroître la misère des peuples…
Or les Cassandre d’aujourd’hui sont les béats d’hier. Instigateurs des
politiques communautaires imposées au forceps depuis trente ans, ils ont célébré
tour à tour le plus grand marché du monde, la monnaie unique, la « politique de civilisation » ; ignoré le verdict populaire sitôt qu’il leur était
contraire ; détruit tout projet d’intégration qui
aurait reposé sur le mieux-disant social, les services publics, des écluses
commerciales aux frontières de l’Union. Minuit sonne, le carrosse devient
citrouille ; ils oublient soudain leur allégresse
d’antan et jurent nous avoir toujours alertés que cela ne marcherait jamais.
La dramatisation financière servira-t-elle de prétexte pour imposer un bond
en avant fédéral sans le soumettre à la corde de rappel du suffrage
universel ? Une Europe déjà mal en point peut-elle
vraiment se permettre ce nouveau déni démocratique ?»