«Le monde connaît depuis 2008, sa plus grande crise économique depuis les années 1930. Le chômage a explosé singulièrement en Europe où les dirigeants se sont arcboutés sur l’austérité. Qui peut décemment prétendre que les droits des salariés et de leurs syndicats sont responsables de la crise ouverte en 2008 ? Le droit social (droit du travail mais aussi protection sociale) n’a-t-il pas alors été un fantastique contrepoids face à la dépression ? Et comment ne pas saisir que l’assouplissement du droit du travail ne peut que renforcer la course effrénée au moins-disant social qui mine l’Europe ?
L’emploi dépend avant toute chose des politiques macroéconomiques mises en œuvre. En pointant la lourdeur du droit du travail, le gouvernement détourne de l’essentiel, son choix de ne pas s’attaquer aux ressorts d’un modèle libéral (finance libéralisée, libre échange, austérité salariale…) qui n’en finit pourtant pas de produire ses effets récessifs.(...) En matière même de droit du travail, il commet deux lourdes fautes. Celle d’insécuriser un peu plus les salariés, tout d’abord, alors que la France souffre d’un modèle d’entreprise à la fois financiarisée et archaïque, car féodale. Le travail empêché, non reconnu, dévalorisé, joue contre la performance. Le Medef et le gouvernement n’ont de toute évidence toujours pas intégré cette leçon élémentaire. Celle de ne pas lutter pleinement contre les nouveaux risques portés par l ’ « uberisation » du travail, d’une part, les travailleurs détachés, d’autre part. Ces nouveaux risques appellent un renforcement du droit du travail, à la fois, pour protéger les travailleurs, mais aussi, on revient au double fondement de ce droit, pour ne pas exposer les entreprises à une concurrence déloyale.
Historiquement, il y a un lien extrêmement étroit entre le développement du droit du travail et celui de la sécurité sociale, des services publics et des politiques économiques (des revenus, budgétaire, monétaire, industrielle, commerciale…) de soutien à la croissance et à l’emploi. Une cohérence d’ensemble, celle de l’État social, autour de l’idée que l’intervention publique est précieuse afin de réaliser des missions que le marché – le tout n’étant pas réductible aux jeux des parties, l’intérêt général à celui des intérêts particuliers – ne peut assumer : le plein emploi, la stabilité financière, la réduction des inégalités, la satisfaction des besoins sociaux en matière d’éducation, de retraite, de santé, etc. Les libéraux ont aussi leur cohérence : le gouvernement français, à l’unisson des autres gouvernements européens, s’enfonce dans l’austérité salariale et budgétaire. Dans le même temps, Manuel Valls et Emmanuel Macron appellent à une profonde « refonte du droit du travail » orientée vers « plus de latitude », de « souplesse » pour les employeurs. Cette politique menée sans relâche en particulier en Europe ces dernières années ne marche pas. N’est-il pas temps de tourner le dos au dogmatisme libéral ? »