As gravações perdidas
de Duke Ellington
«Régulièrement, l'industrie musicale nous fait le coup du
bonneteau. Une prise inédite, perdue au milieu de figures connues,
ressort miraculeusement de chutes de studios retrouvées, inopinément, à
la faveur d'un nettoyage de printemps. La plupart du temps, cet
incunable n'est qu'une illusion, l'habile tour de passe-passe d'une
industrie musicale en coma dépassé. Rares sont les vrais trésors égarés à
resurgir, telle la bande originale des Chemins de Katmandou, signée du
duo Serge Gainsbourg-Jean-Claude Vannier, enfermée dans une valise
poussiéreuse depuis... 1969 et sortie en avril dernier. Mais, quand le
label indépendant berlinois Grönland annonce avoir mis la main sur une
session allemande de Duke Ellington datant de 1970, nous sommes tout
ouïe. Surtout lorsque les informations attestent que ces bandes perdues
ont été captées au Studio Rhenus de Cologne, sous les auspices du
producteur de Krautrock Konrad «Conny» Plank. La rencontre entre deux
univers aussi éloignés que la planète Terre l'est de la nébuleuse Alpha
du Centaure avait tout de la gageure et de la légende urbaine. La
session secrète, qui aurait été redécouverte lors de la succession du
producteur de Kraftwerk, de Can et de Cluster, offre deux morceaux, le
swing Alredo et l'avant-gardiste Afrique, de trois prises chacun.
On sait peu de choses des circonstances qui auraient présidé à ces
enregistrements, sinon que la légende du jazz américain au crépuscule de
sa vie et le producteur qui allait contribuer à inventer le son de la
musique industrielle européenne avaient une admiration réciproque. Le
résultat sonne comme une répétition, où le «Duke» et son orchestre
expérimentent. Surtout sur Afrique, un morceau qui sera enregistré en
1971 dans une version différente, sur l'un des tout derniers et très
modernes albums du pianiste, The Afro-Eurasian Eclipse. Cette session
perdue aura été leur seule collaboration, elle n'en est donc que plus
précieuse. En 1974, Duke Ellington succombe, à New York, à un cancer du
poumon ; Conny Plank, lui, au sommet de sa contribution à Kraftwerk, est
aux pupitres de leur Autobahn. En route pour la légende.»
The Conny Plank Session, de Duke Ellington & His Orchestra, Grönland.
(texto de Marianne.net)